À l'origine de... L'album Play-Moby

Publié le par A.F.

Vera Hall

Vera Hall

L'album Play de Moby est emblématique de l'album aux milles succès: nominé aux Grammy Awards, aux Brit Awards, numéro un dans plusieurs pays lors de sa sortie en 1999 (Australie, Canada, Angleterre, États-Unis...)... Il est aussi l'exemple du sampling réussi, original et rentable. En effet, la plupart des voix caractéristiques de l'album, ces belles voix profondes et atypiques, viennent souvent de très loin..

Tout comme beaucoup des titres de Play, avec ces magnifiques accroches vocales rythmiques, répétitives et extraordinairement riches, le premier titre de l'abum, Honey, n'est pas une composition récente. Ce chant est extrait des nombreux Field Recordings qu'Alan Lomax a réalisés, et dont Moby se servira à plusieurs reprises.

La voix qui a été samplée est celle de Bessie Jones, interprétant Sometimes. Morte en 1984, Bessie Jones était une chanteuse de gospel qui a appris la plupart de ces chants de son grand-père, un ancien esclave, et qui prolonge le gospel jusqu'aux frontières du blues. Voici l'enregistrement ayant qui a servi à Moby pour sa chanson, qu'il affirme d'ailleurs avoir composé en dix minutes:

Le deuxième titre de l'album Play est le puissant Find My Baby. Il est là encore tiré d'un enregistrement fait par Alan Lomax, d'un groupe dont le chanteur s'appelle Roland Hayes, alias Boy Blue. C'est le titre Joe Lee's Rock, un superbe blues, qui sera donc samplé par Moby afin d'apporter cette atmosphère si particulière, entre downtempo et field recording:

Le titre Natural Blues, sans doute le plus écouté de l'album, est sans surprise un nouveau sample d'enregistrement d'Alan Lomax. La chanteuse s'appelle Vera Hall, et le chant Trouble So Hard. Vera Hall était une chanteuse américaine de Country-Blues-Folk avec une voix que John Lomax (le père d'Alan Lomax, lui aussi ethnomusicologue) a qualifié de "loveliest voice he had ever recorded". Entre souffrance et espoir, ce negro-spiritual raconte la solitude face aux difficultés de la vie, difficultés et douleurs que seul Dieu peut connaître:

Enfin un dernier exemple, plus discret celui-ci: le titre Run On. Les voix sont issues d'un enregistrement de 1943 de Bill Landford And The Landfordaires. Run On, ou Run On For A Long Time, est à l'origine un traditionnel américain, mettant en garde contre le pêché. Voici l'enregistrement de Bill Landford:

Cette chanson est plus connue sous le titre God's Gonna Cut You Down, dont voici l'interprétation magistrale de Johnny Cash (le clip met en scène de grands musiciens qui lui rendent hommage):

La liste des samples ne s'arrête pas là, car sur les dix-huit titres de l’album, ce sont neuf chansons qui sont issues de samples. Les samples vont de Joe Coker à Creedence Clearwater Revival en passant par Spoonie Gee And The Treacherous Trees (Spoonie Gee étant un précurseur du Gangsta Rap).

Malheureusement d'autres samples n'ont pas été crédités, notamment sur les titres Machete, comprenant un sample du Incredible Bongo Band, et le très célèbre Porcelain, comprenant un sample d'Ernest Gold (après avoir été samplé, le passage est diffusé à l'envers par Moby).

En utilisant des samples de chants, de working songs ou de spirituals, Moby n'a pas eu à payer de droits d'auteurs. Les samples ont donc été particulièrement rentables pour lui. Cela dit, il n'a pas oublié de remercier les Lomax, les archivistes et tous les historiens du son qui lui ont permis d'offrir un album remarquable, aux accents de trip-hop, house et downtempo.

Le nom de scène de Moby est lui-même une sorte de sample patronymique. Moby est le petit-fils d'Herman Melville, l'écrivain surtout connu pour Moby Dick. Il a donc repris ce nom en hommage, tout comme il a repris les enregistrements d'Alan Lomax, trésor inestimable.

Le sampling peut être extrêmement décevant, mais quand il est fait avec talent, comme dans l'album Play, il apparaît alors que la "musique-racine" traverse le temps et transcende les époques, au gré des évolutions techniques. Moby a su amener un album en cohérence avec son temps, mêlant de manière unique ethnomusicologie et musique populaire. Plus précisément, il est revenu à la source populaire d'une époque difficile et a redonné aux descendants de cette génération un patrimoine musical qui lui appartenait, et qui lui appartiendra pour toujours. Ne l'oublions pas, la musique, quand elle est sincère et passionnelle, est tout simplement vibrante, vivante et immortelle.

Les monuments appartiennent à leur propriétaire, leur beauté à tout le monde.
Victor Hugo

Publié dans À l'origine de..., Blues, Folk

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